Le numérique en librairie : l'impasse programmée ? | Les libraires indépendants de Lorraine

3 mars 2015

Le numérique en librairie : l'impasse programmée ?

Il existe de nombreux verrous au développement de la librairie numérique indépendante. Listons-les.
Le Kindle
La stratégie d’Amazon est simplissime :
  • Avec un format propriétaire, l’entreprise verrouille son système.
  • Des campagnes de prix agressives permettent ensuite de recruter des lecteurs.
Note : Il n’est pas interdit à un distributeur de proposer le format Mobi. Mais combien de lecteurs vont sortir de l’écosystème Amazon : s’ennuyer à commander sur un store et transférer ensuite le fichier par un cable USB sur leur Kindle ?
IOS : iPad, iPhone
Le système est apparemment plus ouvert mais avec un droit d’entrée impossible à honorer. Apple prend 30% sur toutes les ventes soit autant que la marge brute du revendeur.
Le libraire peut bien proposer une application mais seulement de lecture.
Androïd
Le système a fait rêver le monde entier... pour arriver à une situation similaire à celles des deux concurrents : sur les appareils équipés d’Android 4.0 ou version ultérieure, les applications système Google Play sont préinstallées. Google avertit : « Sachez que la désactivation d’une application intégrée peut entraîner le dysfonctionnement d’autres applications. Les données associées à cette application seront également supprimées. »
Adobe
Alors que les 4 pures players reçoivent les fichiers des distributeurs et peuvent installer leurs propres systèmes de protection, les autres acteurs sont en webservice et dépendent d’Adobe qui propose un système hors de prix et qui fait fuir les clients.

Le résultat
Amazon, Apple, Kobo (avec la FNAC) et Google détiennent 85% du marché. 

Les nouveaux pures players et les librairies indépendantes appuyées par leurs prestataires informatiques se partagent des miettes.

La tendance à la désintermédiation
La désintermédiation est une tendance de fond. Il y a une alliance de facto entre les grands acteurs du numérique et les consommateurs pour se passer des intermédiaires économiques. Aujourd’hui, de nombreux secteurs sont touchés : presse, édition, hôtellerie, taxi....
En quelques années, on assiste à la naissance de géants mondiaux, de véritables rouleaux compresseurs qui écrasent les prix et la concurrence, mais aussi les emplois, les taxes. Prenons, l’exemple d’Uber. Cette société a lancé son application sur Androïd et IOS en 2010 à San Francisco. Elle est déjà présente dans 51 pays. Après la dernière levée de fonds, elle est valorisée à plus de 41 milliards de dollars.
Donc exit les chauffeurs de taxis comme les libraires. Exit le paiement des charges et des taxes. Vive la société du partage... et le retour des taxes féodales payées à des sociétés qui ont pu s’imposer en quelques années grâce à des levées de fonds gigantesques.
Le projet d’Amazon s’inscrit dans ce cadre. Après avoir tué la librairie indépendante dans de nombreux pays, le prochain objectif est bien de se passer des éditeurs et des diffuseurs. A l’heure du numérique, de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie, de la réforme du droit d’auteur (en cours à l’échelle européenne), ce devrait être rapide. On verra alors si certains distributeurs diront encore : « les libraires avaient un boulevard devant eux. Ils n’ont pas su construire à cause de divisions ».
Y-a-t-il encore un espoir pour la librairie indépendante ?
Le poids du livre numérique est de 2%. Ce qui est rien. Certains acteurs rêvent M03T. Il existe encore des sociétés comme Booken, Pocketbook. On peut aussi espérer que les distributeurs français arrêtent les DRM Adobe. Le WATERMARK est bien plus efficace pour empêcher la diffusion des fichiers. Et le WATERMARK est bien une protection.
« Avec Internet, le libraire devient bibliothécaire, documentaliste, journaliste, médiateur et commerçant » , c’est l’intitulé de la tribune que j’ai signé en octobre 2010 dans Livres hedbo. Depuis 8 ans, je n’ai cessé d’expérimenter de nouvelles formes de médiation sur Internet qui passent par une amélioration de la structuration des données, l’enrichissement et la personnalisation des contenus, et la scénarisation des catalogues. Il n’y a qu’à consulter les catalogues proposés par Amazon, Apple et Kobo pour voir qu’il y a de la place pour cette démarche MAIS A LA CONDITION que la librairie indépendante trouve un accord avec Booken et Pocketbook pour proposer le lecteur à prix compétitif et que le lecteur puisse télécharger directement sur la liseuse sans que de l’autre côté le libraire soit ruiné par les frais d’affiliation aux différents intermédiaires.
(Source : www.bibliosurf.com / Auteur : Bernard Strainchamps)